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Délier la langue de Mireille Elchacar: compte rendu de lecture

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Faisons-nous plus de fautes qu’avant? Et les jeunes, en font-ils plus?

Pas d’après une «linguiste de l’Université d’Ottawa [qui] a analysé des milliers de vieux papiers. Son constat: les jeunes d’aujourd’hui font les mêmes types de fautes que leurs ancêtres… mais ils les montrent plus.» (Nadeau, 2022).

Les difficultés à bien écrire la langue française sont-elles dues à l’opacité de son orthographe, à ses règles multiples et à ses nombreux illogismes? En partie, peut-être bien. On n’a pas vu de réforme de la langue depuis des lunes, sauf celle de 1990 – que trop peu de personnes appliquent.

Ces questions, Mireille Elchacar les aborde dans son livre Délier la langue: pour un nouveau discours sur le français au Québec. Mme Elchacar est docteure en linguistique et professeure à la TÉLUQ. Elle approfondit dans ce livre les sujets suivants:

Voici quelques idées intéressantes traitées dans le livre:

1) La chasse aux anglicismes ne date pas d’hier

La chasse aux anglicismes remonte au milieu du 19e siècle lorsque les Canadiens français commencent à se comparer à la France. Les érudits de l’époque constatent que le français de France ne ressemble plus au français du Québec, ou plutôt qu’il y a des différences de registre et des variations géographiques.

Panique à bord, pauvres locuteurs et locutrices du français québécois doivent être remis à l’ordre. On s’évertue alors à implanter la norme du français (de France) au Canada. On multiplie les ouvrages de langue et les chroniques de langue. Un anglicisme équivaut à une faute, et il faut le dire! Certains sont toutefois tolérés (camping, muffin, basketball, etc.) alors que d’autres ne le sont pas du tout.

Donc, le français québécois est perçu comme un français de moindre qualité (trop familier) par rapport au français de France (l’idéal à atteindre).

2) La chasse aux anglicismes nourrit l’insécurité linguistique

Dans un contexte familier, on emploie des anglicismes. Quand on écrit dans un langage plus soigné, on les évite. C’est une question de contexte, et il est inutile, selon l’autrice, de les éradiquer à tout prix. L’Office québécois de la langue française est d’ailleurs là pour proposer des traductions qui seront peut-être adoptées par la majorité (pensons à «courriel», largement utilisé au Québec). L’usage en décidera.

«Fait un peu difficile à admettre: lorsqu’on utilise un mot qui vient de l’anglais, on utilise en fait un mot français.» (Elchacar, 2022, p. 52)

Toutefois, il n’est pas question dans ce livre de remettre en cause l’importance de protéger le français (lois, affichage, écoles et autres), mais plutôt de cesser de pointer du doigt les «faiseurs de fautes» et de sous-entendre qu’ils ne parlent pas un vrai français (celui de France). Cette stigmatisation ne fait que les détourner encore plus vers l’anglais, en nourrissant leur insécurité linguistique.

Cette chasse cache le vrai problème, c’est-à-dire la difficulté à faire évoluer les règles d’orthographe.

3) Clément Marot est le responsable de nos difficultés à bien accorder les participes passés

Au 16e siècle, Clément Marot, poète et ambitieux personnage, a eu l’idée de rapporter d’Italie les règles d’accord du participe passé pour les appliquer à la grammaire française.

Depuis ce temps, bon nombre de jeunes et de moins jeunes essaient tant bien que mal d’assimiler ces règles. Et de nombreuses autres personnes ignorent que ces règles existent (après tout, Le bon usage en parle pendant plus de 14 pages!). Peu connaissent les règles d’accord des verbes pronominaux, ou celles du participe passé suivi d’un infinitif.

«Clément Marot a ramené deux choses d’Italie: la vérole et l’accord du participe passé… Je pense que c’est le deuxième qui a fait le plus de ravages!» (Voltaire, cité dans Elchacar, 2022, p. 94)

Malgré cela, plusieurs souhaitent préserver ces règles à tout prix, et ce, parce qu’il ne faudrait pas niveler par le bas. Comme Elchacar l’affirme, réduire le nombre de règles laisserait pourtant plus de temps au personnel enseignant d’enseigner la syntaxe, la structure de textes, l’argumentation, le vocabulaire, et le plaisir de lire et de s’informer.

4) Les rectifications de l’orthographe sont minimes et pourtant, peu les adoptent

«Nous vivons en ce moment la plus grande période de fixité de l’orthographe française.» (Elchacar, p. 113)

Même si les rectifications orthographiques (RO) ont été introduites (mais non obligatoires) en 1990, et ne concernent qu’environ 2000 mots, peu les connaissent ou les utilisent.

Elchacar déboulonne plusieurs arguments des tenants de l’orthographe traditionnelle, arguments souvent teintés de romantisme ou d’une méconnaissance de la langue ou de la peur de niveler par le bas. À ce dernier argument, l’autrice répond que «si les francophones peuvent passer plus de temps, en écrivant, sur l’argumentation, la recherche, la richesse du vocabulaire ou le style, on ne peut toujours pas parler de nivèlement par le bas» (p. 126).

Bref, beaucoup trop de temps est consacré à l’enseignement de l’orthographe (et non à son histoire) au détriment de l’enseignement du style ou de l’argumentation.

5) Les pistes de solutions de l’autrice

L’autrice propose également des pistes de solution. Les voici brièvement:

Je vous invite donc à lire cet ouvrage avec ouverture pour en apprendre plus sur l’histoire passionnante de notre langue française.

Un geste que vous pouvez faire maintenant, c’est d’employer l’orthographe rectifiée. Ce sera déjà très bien!

Références

Nadeau, J-B. (2022). Non, les jeunes ne font pas plus de fautes qu’avant. L’Actualité.
https://lactualite.com/societe/non-les-jeunes-ne-font-pas-plus-de-fautes-quavant/

Elchacar, M. (2022). Délier la langue: pour un nouveau discours sur le français au Québec. Alias.

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